dimanche 26 avril 2020

LE BILLET DU DIMANCHE #5 - Le confinement par étape



Je me revois, un premier janvier à 00h02, une coupe de champagne dans la main droite, bien entourée dans un chalet de montagne coupé du monde, dans lequel les bûchettes ont déserté le téléphone pour alimenter la cheminée. Le Corona n'était encore qu'une bière que l'on décapsulait avec plaisir.

Pas d'information en provenance du monde extérieur pendant 48 heures, un paradoxe de notre quotidien rythmé aujourd'hui par les flash infos, les interventions (divines) gouvernementales et les tsunamis de chiffres qui viennent nous fouetter les rétines

Mi-janvier, le terme "Covid-19" apparaît sur les petits écrans. 

Encore bien loin de nous, on se moque de ce chinois bien trop gourmand, qui au lieu de manger du poulet comme tout le monde, s'est risqué à une soupe pangolin-chauve souris dans le but surement de revoir à la hausse ses performances sexuelles. Franchement les gars, essayez le velouté de potimarron avec une pointe de gingembre et vous m'en direz des nouvelles. 
Et bien qu'amatrice de documentaires animaliers, je découvre par la même occasion le Pangolin, ce petit fourmilier ressemblant étrangement à un Pokemon, tout d'écailles vêtus, qui visiblement semblent plus utiles en bouillon, en chips ou en collier plutôt que sur son dos. 

Fin Janvier, le virus se débride et commence à parler avec les mains et un accent chantant. 

Ce n'est apparemment plus les amateurs d'animaux exotiques en voie d'extinction que vise cette menace fantôme, cette dernière prend alors l'avion et s'attaque aux mangeurs de gluten : NOUS.
Les choses se précisent. Il n'est plus qu'à 4 heures de bagnole, soit aussi loin que Serravalle et ses Burberry de la saison dernière à -70%.

La semaine d'après, ne voyant plus les tupperware de pâtes de nos collègues de travail italiens le midi à la cantoche, on comprend alors que le confinement se profile dans le pays de la bise

Le 14 mars, vers 19h34, alors en train de me pimper de folie dans la salle de bain, j'entends au loin notre premier ministre prendre inopinément la parole pour nous annoncer alors la fermeture imminente des tous les lieux de débauche diurnes et nocturnes. Maquillée comme un 33 tonnes dérobé, je ne me laisse pas abattre et compte bien profiter de cette dernière soirée du condamné. Les démons de minuit m’entraînent jusqu’à cette heure qui les définissent si bien, et telle Cendrillon je rentre penaude et un peu pompette jusqu'à ma prison dorée

17 mars, le couperet tombe dans un bruit sourd.  

Dernières courses du désespoir avant midi et le début du confinement, une file d'attente longue comme un jour sans pain devant nos hypermarchés. On se rue sur le PQ, on achète 18 tubes de dentifrice et des flageolets qu'on ne mangera certainement pas. 
Dans la panique la plus totale je finis cette première journée à la maison, avec deux ordinateurs cramés, la menace d'un chômage partiel à 81% de mon salaire net, un sentiment d'incompétence immense, sous la douche écoulant mes dernières réserves de liquide lacrymal

Comme il faut savoir raison garder, j'entame les jours qui suivent avec calme et détermination

L'Homme étant un animal routinier, le réveil continue de sonner chaque matin. La journée s'écoule alors au rythme des réunions visio perturbées par les problèmes de fibre en tout genre (internet, capillaire...) et le doux arrière son de ces boules trop pleine d'énergie contenues dans des 53 mètre carré, plus communément appelés "enfants". Le live de sport pour se muscler ce fessier qui ne sert plus, les reines du shopping, pblv, une soupe (de légumes) et au lit. 
C'est alors avec étonnement et peu d'efforts, que l'on apprivoise ce confinement qui nous tordait le bide quelques semaines plus tôt. D'un vieux chat pourri qu'un camion poubelle ne ferait pas bouger du milieu de la route, nous en avons fait une petite chatte d'appartement docile et fainéante. 

Et finalement, je l'aime bien ce confinement. 

Dorénavant, c'est le monde que j'observe depuis mon balcon fleuri de mamie précoce qui me fait palpiter le palpitant. Quand je vois la logistique mise en place pour les courses de chaque quinzaine, la désinfection totale à chaque sortie de poubelle, je me dis que nos petits corps confinés dans nos appartements aseptisés ne tiendront pas l'épreuve des transports en commun et des réunions à 15 personnes dans des salles climatisées. Je m'interroge aussi sur la manière de procéder pour ne pas céder à l'envie d'embrasser nos proches au premier repas de famille ensoleillé. Et enfin, comment vivre avec ce bout de tissus sur le museau qui nous fait étrangement ressembler à des anatidés, et qui nous tiraille l'arrière du cartilage auditif ? 

Nous sommes maintenant à 6 semaines de détention. L'excitation de la nouveauté laisse place à la lassitude de l'habitude. Nous avons passé plus de temps chez nous que Balkany en prison, nous avons épluché tout le répertoire de DeFunes, fait notre propre pain recyclé en parpaing pour construire un abris de jardin. Nous nous sommes bloqués les lombaires en nous prenant pour un maître yogi. Nous avons pris 3 cuites sur zoom, évité le divorce par 6 fois et tenté une frange maison trop courte et irrégulière. Nous nous sommes tordus la cheville sur un jouet, brûlés avec le four et coupés avec le couteau en céramique. Nous avons également cédé à la tentation de la petite promenade du dimanche, en règle et attestée. 

Et nous attendons plus ou moins patiemment, l'heure du déconfinement, pour savoir à quelle sauce (ou soupe) nous allons être mangé. 

Alors, en ce dimanche 26 avril, date d'anniversaire de la création des télé-réalités françaises, profitons de nos derniers instants de confinés. Après tout, Loanna et Jean-Edouard y sont bien parvenus en y prenant du plaisir, alors pourquoi pas nous ? 



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